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Lorsqu’on demande aux Français de choisir parmi plusieurs actions individuelles [a]trier les déchets, privilégier les fruits et légumes de saisons, limiter le chauffage et/ou la climatisation, choisir des produits avec moins d’emballages, utiliser les transports en commun, … Continue reading quelles sont celles qu’ils pratiquent déjà pour lutter contre le réchauffement climatique, le tri des déchets est celle qui revient le plus (plus de 80 % des répondants) .
A première vue, le recyclage semble en effet être une solution pertinente pour permettre de donner une nouvelle vie à nos objets. Cependant, nous allons voir que la réalité est bien plus complexe que cela.
L’intérêt du recyclage
Commençons par rappeler brièvement les avantages indéniables du recyclage :
- le recyclage, s’il est efficace, peut permettre de réduire la pression sur l’extraction de matières premières : c’est particulièrement vrai pour le métal, le verre et le bois
- le recyclage, c’est moins d’énergie consommée et moins d’émissions de GES si l’on compare à l’extraction de matières premières vierges
- les déchets qui ont été correctement triés et recyclés ne sont pas incinérés, ni enfouis ce qui permet de limiter les pollutions (air, sols, océans).
Le recyclage, en tant que tel, est donc une pratique tout à fait bénéfique. Mais, tel qu’il est pratiqué, nous allons voir qu’il pose de nombreuses questions.
Les problèmes que pose le recyclage
Dans un ouvrage publié en 2020, Flore Berlingen, ancienne directrice de l’Association Zero Waste France, a très bien analysé les problèmes majeurs que pose la solution du recyclage. Elle les résume en trois grandes problématiques que nous allons détailler par la suite :
- le recyclage comporte de nombreuses contradictions que les producteurs n’assument pas suffisamment
- le recyclage à l’infini est un mythe
- le recyclage contribue à perpétuer l’utilisation de produits jetables
Le manque de responsabilité des producteurs face aux limites du recyclage
Suite aux refus des collectivités d’assumer seules le coût financier de collecte et de traitement des déchets dont le nombre a explosé au cours des années 1970 et 1980 (suite à l’avènement des emballages en plastique en particulier), des filières dites de « responsabilité élargie du producteur » (REP) ont été mises en place dans les années 1990 : concrètement les entreprises versent une cotisation afin de financer la collecte des déchets recyclables et les centres de tri. Nous allons voir que cette responsabilité élargie n’est pas autant assumée par les producteurs qu’elle le devrait.
Tout d’abord la communication intense sur le geste de tri, même si elle est utile, tend à faire diversion en attirant l’attention sur la responsabilité des individus. Certes, un tri correctement effectué est une première étape indispensable mais d’autres conditions importantes sont à remplir qui ne relèvent absolument pas du consommateur final.
Tout ce qui est techniquement recyclable en théorie n’est pas forcément recyclé si des conditions économiques ne sont pas réunies :
- recycler une matière donnée comporte un coût plus ou moins élevée en fonction de la difficulté du procédé et de la capacité à le distinguer d’autres matières au niveau centre de tri
- il faut trouver des acteurs économiques intéressés par la matière recyclée ce qui n’est pas possible que si le coût est acceptable et la qualité suffisante
« Si l’on se place dans une optique de « responsabilité du producteur quant au devenir de ce qu’il met sur le marché, il semble essentiel d’apprécier la recyclabilité non seulement sur le plan technique (en théorie) mais aussi sur le plan opérationnel (en pratique). Il devient urgent de lutter contre l’utilisation trompeuse du terme « recyclable » dans le cas où celui-ci est possible techniquement mais où il n’existe aucune filière de recyclage opérationnel. »
Flore Berlingen
Par exemple, le polypropylène souple [b]composant par exemple les sachets de biscuits individuels, de pâtes, de salade ou de confiseries est recyclable en théorie mais ne l’est pas en pratique dans de nombreux pays, notamment la France. Ainsi, en France, la moitié du million de tonnes d’emballages plastiques mis sur le marché chaque année ne sont pas recyclés (dont 40 000 tonnes de PP souple) . Même problème pour le bois des déchets d’ameublement dont seulement la moitié est effectivement recyclé en panneaux de particules en raison d’une offre trop importante et d’une qualité inégale du bois d’ameublement
Pour remédier à ce problème, plusieurs éco-organismes ont été instaurés au sein des différentes filières définies par la loi (piles et accumulateurs, équipements électriques et électroniques, emballages ménagers, médicaments, produits chimiques, etc.) afin de collecter les contributions obligatoires des producteurs. Ces éco-contributions sont destinées d’une part à financer la collecte et du traitement des produits en fin de vie et sont d’autres part, redistribuées selon un système de bonus-malus, afin d’inciter les producteurs à concevoir des produits recyclables en fin de vie. Or, comme l’explique Flore Berlingen, ce système de bonus-malus ne semble guère incitatif dans un certains nombre de filières (notamment la filière des emballages ménagers et celle des textiles, linge de maison et chaussures) : les écomodulations sont faibles et essentiellement appliqués dans le sens du bonus.
Flore Berlingen met au jour un conflit d’intérêt majeur concernant l’organisation des éco-organismes : ils sont créés, pilotés et détenus par leurs adhérents, à savoir des entreprises privées dans la plupart des cas (sauf dans la filière des médicaments et celle des DASRI [c]déchets d’activités de soins à risques infectieux), celles-là même qui mettent les produits sur le marché et les distribuent. Les autres parties prenantes (collectivités locales, associations de consommateurs et associations environnementales) n’ont qu’un rôle consultatif. Il est donc délicat pour les éco-organismes d’appliquer un système punitif à leurs propres adhérents.
Néanmoins, comme nous l’avons rappelé au début, le geste de tri reste essentiel. Nous ne pouvons pas occulter le fait qu’un certain nombre d’individus ne se préoccupent pas de trier leurs déchets. Mais les citoyens ne sont pas toujours facilités dans leur tâche.
Il faut d’abord relever des défauts d’organisation du tri et de la collecte, plus ou moins importants selon les territoires, bien que des progrès notables ont globalement été effectués dans ce domaine. Un exemple tout simple est la présence souvent insuffisante de poubelles de tri adaptées dans l’espace public. Citons également une fréquence insuffisante des collectes en porte-à-porte ou encore une implantation insuffisante de points d’apport volontaire.
Résultat : une quantité très importantes de déchets potentiellement recyclables terminent incinérés. Ainsi, selon Loïc Morel, directeur de la valorisation SYCTOM dans une usine d’incinération de déchets, les déchets recyclables représenteraient à vue d’œil plus de la moitié des déchets brûlés [d]« valorisés » pour du chauffage urbain et de la production d’électricité au sein de son usine, contribuant ainsi à l’émission de GES (CO2, méthane, oxydes nitreux) Notons au passage que des résidus toxiques (contaminé en dioxine et métaux lourds), appelés « mâchefers », restent non brûlés suite au passage au four à 1000 °C. Cela représente en moyenne environ 20 % des déchets dans les incinérateurs français dont un tiers environ sera trop pollué pour être valorisable et finira dans une décharge. Les deux tiers valorisables seront triés et serviront de sous-couches routières, avec des risques potentiels de pollution des nappes phréatiques en raison de la présence de dioxine qui est le plus souvent liée à la présence de composés plastiques dans les déchets qui ont été incinérés . S’ils ne sont pas brûlés, les plastiques peuvent être envoyés dans des stations d’enfouissement ce qui pose un autre problème décrit par Nathalie Gontard et Hélène Seingier : les plastiques vont se dégrader, puis se fragmenter, lentement (sur plusieurs décennies a minima) mais sûrement, pour se transformer en micro et nanoparticules qui vont vont pouvoir ensuite migrer dans le sol et contaminer nos eaux douces et nos océans. Notons que ce n’est pas un problème mineur car chaque année, près de 30 % des déchets plastiques collectés en France sont enfouis .
Les collectivités locales ont une part de responsabilité indéniable mais pas seulement : en effet, les financements issus des filières REP sont insuffisants aux yeux des opérateurs en charge de la collecte, à savoir les collectivités ou des acteurs privés selon les filières [e]dans quelques rares filières, comme celle des piles et accumulateurs, les éco-organismes gèrent eux-mêmes le système de collecte. Concrètement, la gestion des déchets coûte environ 14 milliards d’euros aux collectivités locales tandis que la contribution des filières REP est de 1,2 milliards d’euros, soit 9 % seulement. Flore Berlingen conclut :
« Autrement dit, comme de nombreuses autres « externalités environnementales » des activités économiques, le coût du traitement des déchets reste assumé par la société dans son ensemble. Il est le résultat d’activités économiques dont les choix (par exemple en terme de recyclabilité) sont arbitrés par une minorité au sein des entreprises et dont la rentabilité profite à un nombre limité de personnes. C’est le deuxième grand écueil d’une « responsabilité du producteur » qui, plutôt qu’ « élargie », semble restreinte à portion congrue ».
Flore Berlingen
Un autre point important est dénoncé par Flore Berlingen : une communication des éco-organismes qui prête à confusion. L’exemple le plus emblématique est peut-être celui du logo « Point Vert » qui indique simplement que le producteur s’est bien acquitté de sa cotisation, cotisation qui rappelons-le est de toute façon obligatoire. Or, dans l’esprit du consommateur non averti, le dessin particulièrement explicite de ce logo peut donner l’impression que le produit est recyclable ou recyclé. De plus, ce logo est généralement juxtaposé aux logos concernant le tri avec un message « Pensez au tri ! », que l’emballage soit recyclable au non.
A la décharge des producteurs, il faut préciser que l’apposition du Point vert était une obligation légale [f]article R543-56 du Code de l’environnement jusqu’en 2016 inclus . Puis, une nouvelle législation, applicable depuis le 1er janvier 2020 est allé plus loin en interdisant d’apposer le Point vert sur les emballages ménagers mis sur le marché en France sous peine de pénalités. Dans un nouveau rebondissement, ces pénalités ont été toutefois été suspendues suite à une décision temporaire du Conseil d’Etat (pouvant donc être revue) dans le cadre d’une procédure d’urgence engagée par 5 organisations professionnelles [g]l’AFISE, l’ANIA, la FCD, la FEBEA et Group’hygiène : le juge des référés du Conseil d’Etat a jugé que ces pénalités étaient contraires à l’article 34 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne qui interdit, entre les États membres, des restrictions quantitatives à l’importation . Ainsi, certains auront peut-être remarqué, qu’en 2021, le Point vert a commencé à disparaitre de certains emballages mais est encore resté présent sur beaucoup d’autres (comme dans l’exemple ci-dessous).
Que comprendre par exemple de la signalétique dans l’exemple suivant ?
Il nous est donc rappelé de penser au tri. Mais il se trouve que le film plastique est à jeter : il faut comprendre que « jeter » signifie « ne pas mettre dans le bac de tri » ou dit autrement « jeter avec les ordures ménagères ». Enfin, un message nous rappelle que les consignes de tri peuvent varier localement. En effet, depuis quelques années, une extension des consignes de tri, consistant à mettre tous les emballages dans le bac de tri, est progressivement mise en place en France. Selon l’éco-organisme Citeo, 35 millions de Français sont déjà concernés par ces nouvelles consignes . Donc, pour toutes les communes concernées, il faudra en fait bien mettre l’emballage dans le bac de tri. A terme, toujours, selon Citeo, toute la population française sera concernées par ces nouvelles consignes. De plus, une nouvelle signalétique bien plus claire devrait apparaitre à partir du 1er janvier 2022 (et au plus tard, le 9 mars 2023) .
Cela simplifiera sans aucun doute le message mais posera un véritable inconvénient en terme d’éducation des citoyens : avec de telles consignes simplifiées, on ne sait plus ce qui est recyclable ou ce qu’il ne l’est pas puisqu’en réalité, le tri effectif est fait pour vous. Pire, on peut penser, à tort, que tout ce qu’on y met est recyclable : dans l’exemple ci-dessus, l’emballage doit être mis dans le bac de tri (dans le cas des consignes de tri étendues) alors qu’il ne sera pas recyclé. Ceci n’incite pas à la réduction de nos déchets à la source.
De plus, une partie du budget des éco-organismes servent à financer des campagnes de communication sur le tri et les vertus du recyclage. Mais la frontière est mince entre la promotion de l’acte de tri et l’autopromotion. Flore Berlingen donne ainsi l’exemple de campagnes d’affichages, en 2018 et 2019, valorisant l’engagement de douze grandes marques d’eaux minérales et de sodas dans le domaine du recyclage. On peut aussi se demander si l’éco-organisme Citeo est bien dans son rôle lorsqu’il participe à des actions de lobbying auprès de députés européens en 2018 pour contrer le projet d’interdiction des plastiques à usage unique. Autre élément discutable, des associations de sensibilisation au tri, créées ou financées par l’industrie, peuvent faire l’objet d’une déduction fiscale.
Flore Berlingen résume la situation ainsi :
« Autrement dit, au lieu de prendre en charge le coût environnemental (et donc social) de leur exploitation des ressources naturelles, certaines entreprises redirigent une partie de leur impôt vers des opérations qui servent leur image, en plus de véhiculer l’idée que le recyclage ne dépend que de nous, citoyens-trieurs. »
Flore Berlingen
Reste la question de la délocalisation massive de certains de nos déchets plastiques, électroniques ou encore textiles.
Prenons l’exemple du plastique. Environ 40 % de nos déchets plastiques collectés pour être recyclés seraient exportés . A l’échelle mondiale, en 2016, c’était près de 50 % des plastiques collectés pour être recyclés qui ont été exportés, majoritairement par des pays riches ou émergents (Europe, Amérique du Nord) . Auparavant, la Chine était le réceptacle privilégié des millions de tonnes de déchets plastiques de basse qualité en provenance des pays riches et émergents. Mais fin 2017, la Chine a décidé de ne plus être « la poubelle du monde ». Les pays occidentaux ont dû cherché d’autres solutions en exportant ces plastiques vers d’autres pays d’Asie du Sud Est. Or certaines régions de ces pays ne disposant pas des infrastructures adéquates, les déchets peuvent terminer dans des décharges sauvages ou êtres brûlés à l’air libre ce qui a des conséquences sur les populations et leur environnement. C’est pourquoi certains pays asiatiques ont à leur tour bloqué l’importation de déchets plastiques : l’Inde, le Cambodge, la Malaise, le Vietnam, les Philippines l’Indonésie en 2019, la Thaïlande en 2020 . La France a alors cherché de nouveaux débouchés, notamment en Turquie pour le polyéthylène (PE). Quant aux États-Unis, ils projetteraient maintenant d’envoyer leur déchets plastiques au Kenya. En attendant, des villes (comme Deltona en Floride) ont tout simplement arrêté de trier leurs déchets plastiques .
Un autre exemple intéressant est celui des DEEE [h]déchets d’équipements électriques et électroniques plus couramment appelés « e-déchets » ou déchets électroniques. Selon l’OMS, seulement 17 % de ces déchets sont correctement collectés ou recyclés tandis que les 83 % restants finiraient leur vie dans des décharges illégales ou alimenteraient le secteur informel de la récupération. Ainsi, Agbogbloshie, en banlieue de la capitale Accra au Ghana, est l’une des plus grandes décharges de déchets électroniques de toutes sortes (smartphones, ordinateurs, tablettes, téléviseurs, batteries, électroménager, etc.) : environ 40 000 tonnes / an de ces déchets proviennent d’Europe et des États-Unis. Environ 80 000 personnes qui vivent et travaillent autour de la décharge, dont de nombreuses « petites mains » (enfants et adolescents) sont directement impactés par les pollutions qui en découlent (métaux lourds, dioxines, furanes, phtalates, etc.). Et on retrouve le même problème dans d’autres pays d’Afrique (Nigeria, Cameroun, Égypte), d’Asie (Inde, Chine, Pakistan, Bangladesh, Philippines, Thaïlande, Vietnam) et d’Amérique latine (Mexique, Uruguay). A l’échelle mondialen ce sont environ 18 millions d’enfants qui travaillent dans le traitement de déchets électroniques. Il faut souligner par ailleurs que la gestion inappropriée de ces déchets électroniques constituent une menace croissante en raison de l’augmentation constante du volume de ces déchets : +21 % au cours des cinq dernières années .
Forts de ces constats, nous ne pouvons que souscrire à cette conclusion de Flore Berlingen :
« Il n’est pas normal que la perspective incertaine d’un recyclage serve de prétexte pour contourner le « principe de proximité » dans la gestion des déchets, qui vise précisément à ne pas éloigner, voire exporter, les nuisances et pollutions liées à notre niveau de consommation »
Flore Berlingen
Se débarrasser des déchets qui ne nous intéressent pas déresponsabilise à la fois les producteurs et les consommateurs que nous sommes. Nous faisons payer à d’autres le prix de ce que nous produisons et consommons ce qui n’incite pas à chercher des solutions pour réduire ces déchets. Mais les producteurs ont une part de responsabilité particulière dans la mesure où ils entretiennent l’illusion d’une économie circulaire aux yeux des consommateurs qui ne serait pratiquement conditionnée qu’à la réalisation des bons gestes de tri de leur part.
Le mythe du recyclage à l’infini
Même en mettant de côté toutes les contradictions et difficultés d’ordres organisationnelle et financier décrites précédemment, le recyclage comporte un certain nombres de difficultés techniques ne permettant pas de concrétiser le rêve d’un recyclage à l’infini.
Tout d’abord, il faut comprendre que le processus de recyclage s’accompagne d’une perte et d’une dégradation de la matière. Ceci est particulièrement vrai pour le papier, le carton, les textiles et les plastiques. Pour ces matériaux, le terme de recyclage est d’ailleurs discutable. Il serait plus judicieux de parler de décyclage car ces matières sont structurellement dégradées après le processus de recyclage :
- le papier peut être recyclé entre 5 et 7 fois avec une qualité dégressive à chaque nouveau cycle, et ce malgré un apport complémentaire de pâte à papier vierge à chaque fois .
- le textile est décyclé en chiffons, isolant ou rembourrage la plupart du temps
- le plastique est également dégradé lorsqu’il est retransformé
Par ailleurs, dans de nombreux cas, les produits ne sont tout simplement pas recyclables ou très difficilement :
- en raison de la dispersion des ressources : c’est le cas notamment des particules de métaux qui sont ajoutées aux matériaux bruts, pour diverses applications (plastiques, peinture et cosmétiques), afin de leur conférer des propriétés particulières (colorantes, stabilisantes, antibactérienne). Cet usage dispersif n’est pas négligeable. On citera en particulier l’exemple du titane dont 95 % est irrécupérable en raison de ce type d’usage.
- en raison de la multitude d’alliages existants rendant impossible le développement de filières de recyclage dédiées
- en raison de la présence d’additifs (des colorants par exemple) à l’origine du produit ou d’impuretés résultant de l’utilisation du produit (produits d’entretien, encres minérales), ce qui pose des problèmes pour des usages ultérieures (alimentaires par exemple) des produits recyclés
En raison de ces différentes contraintes, les produits plastiques sont très difficiles à recycler : seulement 9 % de tous les plastiques produits dans le monde auraient été recyclés dont une grande partie dans une qualité moindre . En France, le taux de recyclage global des emballages en plastique était seulement de 28 %, et seulement 7,5 % pour tous les autres emballages plastiques autre que des bouteilles ou des flacons. Notons que ce taux d’année en année mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir .
Typiquement, les plastiques non refusés à l’étape du tri sont répartis en 5 catégories :
- PET transparent (ex : bouteilles transparentes) : recyclé en nouvelles bouteilles
- PET foncé (bouteilles colorés) : décyclé en rouleaux d’isolation pour les maisons
- PEHD (ex : bouteilles de lait) et PP (récipients alimentaires) : transformé en tuyaux d’arrosage ou équipements automobiles
- PEBD (ex : étiquettes en plastique souple) : recyclé en film plastique neuf
- PS (ex : barquettes) : soit part directement à l’incinérateur, soit décyclé en cintre ou pot de fleur par exemple, objets qui finiront tôt ou tard enfouis ou incinérés.
« Sous prétexte de « recycler », et donc d’éviter la création de déchets, nous déplaçons le problème en inventant toujours plus d’objets en plastiques, et donc de futurs déchets que l’on ne sait pas mieux gérer »
Nathalie Gontard et Hélène Seingier
Même le PET transparent (ou légèrement bleuté) de nos bouteilles d’eau, dont le recyclage est le mieux maitrisé par l’industrie, a des limites : le procédé de recyclage ne fonctionne que deux à trois fois maximum et implique une perte de matière de minimum 30 % à chaque cycle . Il faut donc généralement réintroduire de la matière première vierge pour permettre un recyclage de bonne qualité. Il existe également un procédé appelé abusivement bottle-to-bottle par l’industrie qui permet de produire de nouvelles bouteilles en PET à partir de bouteilles en PET déjà utilisées. Mais en réalité, il faut plusieurs bouteilles de PET de très bonne qualité pour produire une bouteille de PET composée à 100 % de PET recyclé. Il est donc impossible de produire toutes les bouteilles en PET 100 % recyclés uniquement à partir du stock de bouteilles collectées. Selon une enquête de Greenpeace datant de 2017, les six plus gros producteurs de boissons [i]Coca-Cola, PepsiCo, Suntory, Danone, Dr Pepper Snapple et Nestlé n’intègrent en moyenne que 6,6 % de PET recyclé à leurs bouteilles .
Dans le cas du métal ou du verre, les taux de recyclage sont bien meilleurs : il est par exemple de 85 % pour les emballages en verre et même de 100 % pour les emballages en acier . Pour autant, il est nécessaire de rappeler que tout processus de recyclage requiert de l’énergie, de l’eau et émet du CO2 . Ce n’est donc pas sans impact sur les ressources même si c’est toujours mieux que de repartir de matières vierges.
Le recyclage entretient l’économie du jetable
L’extraction de matières premières vierges est en expansion. Ce phénomène est particulièrement vrai dans le domaine du plastique dont la production a connu une multiplication par deux en 15 ans. De façon plus générale, la consommation mondiale de ressources a plus que triplé depuis les années 1970. S’il est vrai que la demande en matériaux n’a fait que croitre depuis plusieurs décennies, nous ne pouvons que constater que le recyclage a constitué une solution insuffisante pour freiner efficacement l’extraction de matières premières vierges. En fait, nous allons voir qu’il a même contribué à son essor.
D’abord, le recyclage a servi de prétexte à certaines industries qui dépendent du jetable [j]emballages, plasturgie, agroalimentaire, grande distribution notamment pour perpétuer leur modèle économique, à la fois auprès des consommateurs via une communication de type greenwashing et auprès des politiques via des actions de lobbying. Le cas de l’industrie agroalimentaire est intéressant. Son modèle dépend fortement des emballages jetables en raison de la nécessité de protéger les produits sur des distances parfois très longues et sur un temps plus long également entre le moment où ils sont produits et le moment où ils sont consommés. Au passage, ceci est un argument de plus pour revenir à une production agroalimentaire beaucoup plus locale. Le phénomène de la fast fashion donne un autre exemple où le recyclage permet de légitimer auprès des consommateurs l’achat de nouveaux vêtements à courte durée de vie, et même de les inciter financièrement par une politique de bons d’achat pour tout vêtement qui serait rapporté en vue d’un recyclage.
Par ailleurs, en raison des difficultés techniques que pose le recyclage et pour être économiquement viable face à l’extraction, le recyclage nécessite un volume suffisant de matières à recycler et des infrastructures lourdes délocalisées (ce qui est un inconvénient si l’on veut que les citoyens prennent conscience de l’impact de leurs déchets). D’une certaine façon, l’industrie du recyclage est obligée de copier le modèle économique linéaire que représente l’industrie extractiviste pour être compétitive et ce d’autant plus que le matériau vierge n’intègre pas le coût des impacts environnementaux liés à son extraction. On est loin d’une économie circulaire.
Il serait réducteur d’attribuer toute la responsabilité au recyclage car il y a bien sûr d’autres éléments qui ont favorisé cette situation comme nous l’avons : le faible coût de l’énergie et des résines plastiques vierges (permis notamment par l’exploitation des gaz des schistes, désastreuse sur le plan environnemental), une valeur économique globalement décorrélée des impacts environnementaux, un manque d’éco-conception patent des produits, l’attrait des consommateurs pour le tout jetable. Pour autant, le recyclage a contribué à perpétuer la croissance de l’extraction des ressources en faisant croire qu’elle permettait une économie circulaire. Elle a en quelque sorte servi de cache-sexe pour ne surtout pas remettre en cause notre modèle extractiviste. Mais le recyclage n’est pas mauvais en soi. Il a naturellement toute sa place mais en dernier ressort, c’est-à-dire après que toutes les autres options (réflexion du l’utilité sociale du produit, conception durable, réutilisation, réparation, réemploi) aient été épuisées.
L’exemple emblématique des canettes en aluminium
A l’heure actuelle, environ 3 canettes sur 4 seraient recyclés en France, contre 2 sur 3 il y a quelques années [k]aluminium et acier confondus . Pourtant, s’il on en croit le témoignage de Charles Dauzet, fondateur désenchanté de La Boucle Verte, une start-up spécialisée dans la collecte de canettes [l]qui a malheureusement cessé son activité en février 2020 , la réalité serait toute autre . Seulement 20 % des canettes en aluminium seraient correctement triées et recyclés [m]il est possible que ce chiffre se soit aussi sensiblement amélioré depuis. Le reste comptabilisé aussi comme « recyclé » se retrouve dans les résidus de combustion des usines d’incinération (les mâchefers évoqués précédemment). Sur cette part « mâchefer », une petite moitié (45 %) d’aluminium dégradée peut être extrait des mâchefers et rejoindre une filière de recyclage (en fonderie) tandis qu’une grosse moitié (55 %) est irrécupérable mais utilisé, avec les autres résidus, en sous-couche routière (comme vu précédemment). En partant des chiffres de Charles Dauzet (qui considère un taux de recyclage « officiel » de 60 % des canettes en aluminium), on est donc à seulement 38 % de canettes en aluminium recyclées. Même en admettant que ce taux soit plus élevé aujourd’hui, on est loin des 75 % annoncés. Mais le plus choquant est qu’on a 22 %, comptés comme du recyclage, qui servent en réalité à faire de la sous-couche routière.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là :
« Fin mai 2019, nous avons été invités par la filière aluminium à une réunion de travail et une visite du plus grand site de recyclage Français de Constellium dans le Haut-Rhin. Alors que nous étions persuadés que nos bonnes vieilles canettes redonneraient un jour vie à de nouvelles canettes, nous avons eu la stupéfaction d’apprendre par les ingénieurs qui y travaillaient que les balles d’aluminium provenant des centres de tri Français étaient inexploitables. Leur qualité était mauvaise et il était par conséquent impossible de les utiliser comme matière première car la fabrication de canettes utilise des technologies très pointues et ne peut s’opérer qu’à partir de métaux d’une grande pureté… C’était le comble ! Depuis le début, aucune de nos canettes n’avait redonné vie à d’autres canettes et elles étaient en fait utilisées pour des pièces moins exigeantes comme des blocs-moteurs. »
Charles Dauzet, La Boucle Verte
Charles Dauzet rejoint également Flore Berlingen sur le manque de responsabilité des producteurs et le mythe de l’économie circulaire dans le domaine des emballages :
« […] la canette nous paraissait être un emballage idéal. De nombreux sites internet lui attribuaient le mérite d’être l’emballage le plus léger qui soit entièrement recyclable et à l’infini. On pouvait lire qu’une canette triée redonnait naissance à une canette neuve en 60 jours et que cet emballage était bien recyclé en France (60% d’entre elles). […] La manière dont sont rédigés ces documents nous laisse penser que la filière est très aboutie et s’inscrit dans une logique parfaite d’économie circulaire mais en réalité, les auteurs de ces documents semblent se complaire dans l’atteinte d’objectifs écologiques médiocres. Et pour cause, ces documents sont en majorité rédigés par les acteurs économiques du secteur ou les géants du soda eux-mêmes qui n’ont pour autre but que de défendre leurs intérêts en faisant la promotion des emballages. La filière boisson préfère vendre son soda dans des emballages jetables (c’est bien plus rentable), la filière canette promeut son emballage comme étant le meilleur et la filière en charge de la collecte ne peut gagner sa croûte que si des emballages sont mis sur le marché : principe de l’éco-contribution. »
Charles Dauzet, La Boucle Verte
Conclusion
Pour répondre à la question posée au début, oui, il est absolument essentiel de trier ses déchets. Pour autant, cela ne doit pas nous rendre dupes que le recyclage doit être la solution de dernier recours. A l’avenir, nos efforts devront se porter bien davantage sur la réparation, le réemploi et la réutilisation de nos objets qui devraient être considérés comme des ressources précieuses.
Dans l’introduction de son ouvrage, Flore Berlingen résume très bien la situation :
« Toutes les mesures et propositions de ces dernières années concourent à l’optimisation de l’exploitation des ressources par le recyclage des matières premières, et non à la réduction à la source de leur consommation par la réparation, le réemploi et la réutilisation. Ces deux démarches diffèrent par leur approche et leur objectif : quand la première cherche « à faire de nos déchets des ressources », la seconde vise à « ne pas faire de nos ressources des déchets ».
Flore Berlingen
Références
Notes de bas de page
↑a | trier les déchets, privilégier les fruits et légumes de saisons, limiter le chauffage et/ou la climatisation, choisir des produits avec moins d’emballages, utiliser les transports en commun, etc. |
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↑b | composant par exemple les sachets de biscuits individuels, de pâtes, de salade ou de confiseries |
↑c | déchets d’activités de soins à risques infectieux |
↑d | « valorisés » pour du chauffage urbain et de la production d’électricité |
↑e | dans quelques rares filières, comme celle des piles et accumulateurs, les éco-organismes gèrent eux-mêmes le système de collecte |
↑f | article R543-56 du Code de l’environnement |
↑g | l’AFISE, l’ANIA, la FCD, la FEBEA et Group’hygiène |
↑h | déchets d’équipements électriques et électroniques |
↑i | Coca-Cola, PepsiCo, Suntory, Danone, Dr Pepper Snapple et Nestlé |
↑j | emballages, plasturgie, agroalimentaire, grande distribution notamment |
↑k | aluminium et acier confondus |
↑l | qui a malheureusement cessé son activité en février 2020 |
↑m | il est possible que ce chiffre se soit aussi sensiblement amélioré depuis |