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Les impacts délétères de la perte de biodiversité sur la santé humaine sont bien documentés dans la littérature scientifique. Comme nous le verrons plus loin, tout porte à croire que la pandémie de covid-19 est le résultat direct de cette perte de biodiversité bien que toute la lumière n’ait pas encore été faite sur son origine. Si cette pandémie a surpris la plupart d’entre nous, ce n’est pas le cas des spécialistes qui avaient bien identifié depuis le milieu des années 2000 les risques majeurs d’occurrence d’une pandémie en raison de la dégradation des écosystèmes, du rôle des animaux domestiques mais aussi du rôle des élevages intensifs.
La déforestation des zones tropicales : un risque sanitaire majeur
Tout d’abord, il faut bien comprendre que les pathogènes ne sont pas distribués de façon homogène sur la planète. Citons l’écologue Jean-François Guégan à ce sujet : « Les zones intertropicales abritent beaucoup plus d’agents pathogènes que les régions septentrionales plus tempérées comme celle d’Europe ou d’Amérique du Nord. la raison est simple : il y a une corrélation positive entre la richesse des oiseaux et mammifères et celles des microoganismes que ces animaux abritent » .
La fragmentation des forêts tropicales, liée notamment à l’agriculture, l’urbanisation et la construction de routes, contribue à l’émergence de nouvelles maladies infectieuses dans la population humaine, transmises par des animaux : les zoonoses. Deux explications à cela :
- la première est assez simple à comprendre : puisque les forêts tropicales constituent d’importants réservoirs de pathogènes (virus, bactéries, parasites), fragmenter la forêt augmente le risque de contacts nouveaux entre des animaux sauvages infectés et les humains, directement ou indirectement via des animaux domestiques tel que du bétail.
- la seconde raison est assez contre-intuitive en revanche mais est très importante à comprendre : bien que la biodiversité favorise l’existence d’éléments pathogènes, la diversité des espèces animales joue un rôle de tampon qui limite la propagation de ces agents pathogènes. Pour le résumer en une phrase, citons le Dr Serge Morand :
« Plus de biodiversité signifie plus de pathogènes, mais moins de biodiversité signifie plus d’épidémies infectieuses ».
Dr Serge Morand
- Pour illustrer ce phénomène, prenons l’exemple de la maladie de Lyme qui a été très bien étudiée depuis les années 1990 par le couple de chercheurs américains, Felicia Keesing et Richard Ostfeld, lesquels ont justement été à l’origine de ce concept d’effet dilution :
- La maladie de Lyme est provoquée par une infection à une bactérie (Borrelia burgdorferi) dont les souris à pattes blanches constituent le réservoir principal aux États-Unis
- Dans ce même milieu se trouvent des larves de tiques qui se nourrissent du sang des mammifères de passage pour permettre leur métamorphose vers le stade de nymphe. Si une larve effectue son repas sanguin sur une souris à pattes blanches infectée, elle sera donc elle-même infectée par la bactérie Borrelia burgdorferi. Au printemps, lorsque la larve sera devenue une nymphe, elle est susceptible d’infecter directement un humain.
- Deux situations permettent de réduire ce risque :
- la présence de prédateurs qui vont pouvoir contrôler la population de souris à pattes blanches
- une abondance de petits mammifères dits « hôtes non compétents » (hérissons, tamias, lapins, lièvres, musaraignes, taupes, lézards et certains oiseaux qui nichent au sol), c’est-à-dire qui sont pas à même d’assurer la multiplication, ni la transmission de la bactérie Borrelia burgdorferi à une tique contrairement aux souris à pattes blanches, dit « hôtes compétents ». Donc chaque repas sanguin effectuée par une tique sur un hôte non compétent est une transmission de perdue pour la bactérie : la présence des hôtes non compétents contribue bien à diluer le risque infectieux.
- Or, il se trouve que les souris à pattes blanches sont très à l’aise pour vivre dans des environnements perturbés (grâce notamment à leur régime alimentaire très varié) : à l’inverse d’autres rongeurs « non compétents » tels que les tamias ou écureuils, ont besoins d’aliments spécifiques et ne peuvent donc survivre à la destruction de leur habitats naturels. De même, les prédateurs des souris à pattes blanches, tels que les belettes, les renards, les coyotes ou les rapaces, ne peuvent pas vivre dans ces espaces réduits. Toutes les conditions sont donc réunis pour une prolifération des souris à pattes blanches et donc une majoration du risque infectieux.
Autre exemple pour illustrer l’effet dilution : les maladies à hantavirus
De plus, il y a un phénomène d’affaiblissement du système immunitaire des animaux sauvages du fait de la réduction des espaces naturels (facilitation de l’excrétion et de la transmission de pathogènes). Exemple des chauves-souris.
A compléter
Le rôle des animaux domestiques et de l’élevage industriel
Rôle des animaux domestiques : ils constituent un pont épidémiologique entre les animaux sauvages et les humains. Exemple des cochons / poulets.
« Le porc est idéal car il a des récepteurs antigéniques qui marchent à la fois pour les oiseaux et les humains »
Si de plus, ces cochons ou poulets sont élevés de façon intensive, le virus est amplifié avant de passer à l’homme. Cf. grippes H5N1 et H1N1.
L’élevage industriel contribue en effet à potentialiser des épidémies par un mécanisme de sélection et d’amplification d’agents pathogènes. Un rapport de 2005 commandité par l’OMS (« Les risques globaux des maladies infectieuses animales ») avait déjà mis en lumière ces mécanismes suite à l’épidémie de fièvre aphteuse de 2000-2001, à la pandémie de grippe aviaire H5N1 de 2004 et à celle de grippe porcine H1N1 de 2009 (issue d’une mégaferme porcine aux États-Unis).
De plus l’uniformisation génétique du bétail qui prévaut dans l’agriculture industrielle pour laisser place à quelques races « productives » augmente leur susceptibilité aux maladies infectieuses nécessitant une surconsommation d’antibiotiques ce qui a pour effet d’accroître l’antibiorésistance des pathogènes. C’est donc la aussi une perte de biodiversité des élevages qui facilite l’émergence de pathogènes.
De plus, cet élevage industriel nécessite de mobiliser des surfaces agricoles pour l’alimentation des animaux d’élevage (en soja notamment) ce qui pousse à la déforestation de zones tropicales comme l’Amazonie et donc à faciliter l’émergence de nouveaux pathogènes comme nous l’avons vu dans la première partie. La boucle est bouclée. Dans le même ordre d’idées, le développement de plantations uniformes comme le palmier à huile affaiblit la diversité de l’écosystème.
L’exemple emblématique du virus du Nipah
Le virus du Nipah est un paramyxovirus (même famille que les virus de la rougeole ou des oreillons) qui est apparu pour la première fois en 1998 dans la localité de Kampung Sungai Nipah en Malaisie (sur la partie continentale). L’infection à ce virus a provoqué la mort de 105 personnes en Malaisie (sur 265 personnes infectées). La maladie se manifeste principalement par une encéphalite foudroyante (une inflammation du cerveau). Il a été établi que le réservoir de se virus se trouvait initialement chez de grandes chauves-souris frugivores appelée « roussettes. » Or ces roussettes ont été chassés de leur habitat naturel sur l’île de Bornéo (à l’est du continent), victimes de la déforestation en vue de l’implantation de palmiers à huile. En difficulté pour s’alimenter, les roussettes se sont rabattus sur les arbres fruitiers des fermes industrielles à Kampung Sungai Nipah. Les porcs, élevés en plain air dans ces fermes industrielles, ont vraisemblablement été infectés au contact des déjections des roussettes. Ils ont donc servi d’hôtes intermédiaires pour contaminer les ouvriers agricoles. L’abattage d’environ 1 million de porcs a permis d’endiguer l’épidémie. Cet exemple est emblématique car il illustre très bien comment la combinaison des différents dérèglements décrits précédemment peut conduire à une épidémie.
Autres exemples :
- SARS-CoV-1 : émergence dans un wet market (marché d’animaux vivants) à Guangzhou via la civette
- épidémie d’Ebola en RDC (ex-Zaïre) en 1976
- le VIH
- épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest (2014)
- maladie de Lyme
Une précision concernant le SARS-CoV-2 :
L’hypothèse de l’échappement de ce virus du laboratoire P4 de Wuhan semble peu probable mais ne peut être totalement exclu à ce jour. Un accident par infection involontaire d’une personne travaillant dans ce laboratoire n’est pas impossible. L’OMS a reconnu que cette possibilité existait bien même si c’est celle qui semble la moins plausible. Cela étant dit, même si cette hypothèse devait finalement être confirmée cela ne change rien au fond du problème. Si des laboratoires de virologie sont construits, c’est justement pour étudier les risques sanitaires liés à l’augmentation des zoonoses que l’on observe depuis plusieurs décennies.
Sources
- Ouvrage « La fabrique des pandémies »
- Article « Contre les pandémies, l’écologie »